Voilà un extrait de Indiana, 1832, Première partie, chap. VI.

Quand, vers le soir, la brise de terre commençait à s’élever et à lui apporter le parfum des rizières fleuries, elle s’enfonçait dans la savane, laissant Delmare et Ralph savourer sous la varangue l’aromatique infusion du faham (thé de l’île Bourbon), et distiller lentement la fumée de leurs cigares.

Alors elle allait, du haut de quelque piton accessible, cratère éteint d’un ancien volcan, regarder le soleil couchant qui embrasait la vapeur rouge de l’atmosphère et répandait comme une poussière d’or et de rubis sur le cimes murmurantes des cannes à sucre, sur les étincelantes parois des récifs rarement elle descendait dans les gorges de la rivière Saint-Gilles, parce que la vue de la mer tout en lui faisant mal, l’avait fasciné de son mirage magnétique. Il lui semblait qu’au delà de ces vagues et de ces brumes lointaines la magique apparition d’une autre terre allait se révéler à ses regards. Quelquefois les nuages de la côte prirent pour elle des formes singulières : tantôt elle vit une lame blanche s’élever sur les flots et décrire une ligne gigantesque qu’elle prit pour la façade du Louvre ; tantôt ce furent deux voiles carrées qui sortant tout à coup de la brume, offraient le souvenir des tours de Notre-Dame de Paris, quand la Seine exhale un brouillard compact qui embrase leurs bases et les fait paraître comme suspendus dans le ciel ; d’autres fois c’étaient des flocons de nuées roses qui, dans le ciel ; leurs formes changeantes, présentaient tous les caprices d’architecture d’une ville immense.

L’esprit de cette femme s’endormait dans les illusions du passé, et elle se prenait à palpiter de joie à la vue de ce Paris imaginaire dont les réalités avaient signalé le temps le plus malheureux de sa vie. Un étrange vertige s’emparait alors de sa tête. Suspendue à une grande élévation au dessus du sol de la côte, et voyant fuir sous ses yeux les gorges qui la séparaient de l’Océan, il lui semblait être lacée dans cet espace par un mouvement rapide, et cheminer dans l’air vers la ville prestigieuse de son imagination. Dans ce rêve, elle se cramponnait au rocher qui lui servait d’appui; et pour qui eût observée alors ses yeux avides, son sein haletant d’impatience et l’effrayante expression de joie répandue sur ses traits, elle eût offert tous les symptômes de la folie. C’étaient pourtant l¡a ses heures de plaisir et les seuls moments de bien être vers lesquels se dirigeaient les espérances de sa journée. Si le caprice de son mari eût supprimé ces promenades solitaires, je ne sais de quelle pensée elle eût vécu : car, chez elle, tout se rapportait ¡a une certaine faculté d’illusion ¡a une ardent aspiration vers un point qui n’était ni le souvenir, ni l’attente, ni l’espoir, ni regret, mais le désir dans tout son intensité dévorante. Elle vécut ainsi des semaines et des mois sous le ciel des tropiques, n’aimant, ne connaissant, ne caressant qu’un ombre, ne creusant qu’une chimère.

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